C'était un lundi comme aujourd'hui, au bout d'un long tunnel d'été.
Elle avait fini par s'éteindre.
Je n'ai pas pu faire de billet le 23 août dernier.
Son souvenir m'effleure presque tous les jours pourtant. Comme une impuissance à sentir ce que ses proches enfouissent au fond d'eux-mêmes. Ma nièce m'a téléphoné longuement ce jour d'un anniversaire trop sensible pour son frère, pour ses neveux et nièces (les frères et soeurs d'Anne-Sophie), pour elle sans doute, pour ses parents (ma soeur ainée et mon beau-frère), qui ne sont plus capables d'en parler, qui mettent sur leur coeur l'analgésique d'un oubli de façade, en trompe-coeur.
Trop sensible encore pour qu'on s'en souvienne ce jour-là justement. Ce jour-là, la mémoire fuit, zappe.
Moi qui y pense très souvent, je n'ai pas fait le lien non plus ce jour-là. La pensée d'Anne-Sophie n'a pas émergé à ma conscience. Nous avons parlé d'une foule d'autres choses, y compris de la dureté du monde, du monde des autres.
Ainsi sans doute devrons-nous tous apprendre à vivre cette tragédie dans la ponctuation de dates à la mémoire trop cruelle pour être regardée en face. Le temps, non pas du déni, mais du "comme si cet été-là n'avait pas eu lieu".
Le temps à laisser des plaies vives se transformer en chéloïdes boursouflées, cicatrices laides et fragiles qui feront mal et referont mal longtemps encore et sans doute jusqu'à la fin de leurs jours.
Puisse-t-elle au moins ne pas être morte pour rien !
Car oui, Anne-Sophie est morte des conséquences de coups et blessures infligées par son compagnon, au bout d'une longue agonie de près de deux mois
En 2012, 122 femmes et 24 hommes ont officiellement été intégrées dans les statistiques des personnes "mortes en 2011 du fait de la violence de leur compagnon ou ex-compagnon (compagne). Source : Le Monde du 03/08/2012
C'est parait-il moins qu'en 2010 où le chiffre de 146 femmes (sans doute sous-estimé lui-même) avait été publié.
Tous ceux qui travaillent avec les statistiques et les mots apprécieront les précautions que je mets dans cette phrase.
Combien de faits déqualifiés pour faire baisser les statistiques ?
sans oublier les décès qui ont été traités vite fait bien fait comme des accidents ...
Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas de dénoncer les hommes ou les femmes, ni même les hommes ou les femmes violents. Ces réactions d'hommes (jamais de femmes) minorant la réalité et clamant qu'il y a aussi des femmes qui maltraitent leur compagnon m'anéantissent à chaque fois que j'en lis ou que j'en entends. Oui, bien sûr il y a des femmes violentes. Oui bien sûr, beaucoup d'hommes, peut-être même une majorité, respectent leur alter-egos féminins.
Ce ne sont pas les individus violents qu'il faut combattre, c'est la violence.
Ce sont les causes de la violence.
Ce qu'il faut, c'est que chaque être humain prenne bien conscience qu'un geste de violence peut avoir des conséquences dramatiques, même un seul.
Que la violence ne soit pas banalisée comme elle l'est trop souvent.
Que la fragilité de la vie soit une évidence, que dans certaines circonstance, l'erreur n'offre pas de seconde chance, qu'il n'y a pas d'autre vie.
Que la vie n'est pas un jeu.
Que les hommes (les humains) trouvent enfin une manière vivable de construire l'Humanité
Car oui, on peut atteindre la lune !
Anne-Sophie au pastel sec, fait l'an dernier
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