Le jeudi en poésie, ce n'est pas ici, c'est là
Quand j'ai branché mes neurones sur la lettre U, le premier mot qui m'est venu à l'esprit, à mon étonnement postérieur, UTILE.
Avec en arrière plan cette question faisant écho à une injonction reçue dans mon adolescence :
La poésie est-elle utile ?
J'aurais pu pourtant penser Utopie, même si je la teinte de réaliste ou Univers et son épithète universel, tenu à distance par des droits fondamentaux mais inappliqués. Nulle part.
Je reviens à univers, suite me semble-t-il logique de Terre, en commençant cette introduction, je ne sais pas encore vers quel poème va se porter mon choix.
Mais google, sur la requête basique : "univers + poésie", a conduit mes yeux vers l'astro-physicien Jean-Pierre Luminet et plus précisément sur son site-anthologie Les poètes et l'univers
Cet essai, paru Au cherche-Midi en 1996, va sans doute me donner du fil à retordre si je veux l'acquérir en librairie.
Il est, nous dit l'auteur, né autour d'une bouteille de bon vin partagé avec son ami et collègue, et mentor sans doute, l'astronome et poète Jean Orizet.
(Tricôtine me pardonnera s'il ne s'agit pas de sa région de vignobles) Le bon goût est vaste comme l'univers.
Mais je n'étais pas au bout de mes peines ! Impossible d'échapper à l'emprise d'un Dieu expliquant l'inexplicable que le poète s'y soumette à genoux, ou qu'il l'interpelle sur l'imperfection "de sa création", sans oublier les délires ésotériques ou new âge !
Peut-être aurais-je trouvé des phrases sublimes dans Giordano Bruno, dans le livre qui l'a conduit à la mort pour hérésie, "De l'infini, de l'univers et des mondes", alors même qu'il a été le précurseur, par le raisonnement philosophique de la révolution copernicienne.
Sans doute aurais-je trouvé une prose poétique chez Hubert Reeves, plus accessible dans Malicorne (1990) que dans Patience dans l'azur (1981) ou Poussières d'étoiles (1984), et sans doute dans L'univers expliqué à mes petits enfants (2011) , ou chez Daniel Tammet dans Embrasser le ciel immense, (2008)
Deux poèmes avaient finalement retenu mon attention. Non que je partage cette quête d'un Dieu à l'origine de l'Univers, mais pour leur regard sur la Terre et sur l'homme ou les hommes.
Deux poèmes en écho, à lire sur poésie.webnet :
L'univers est un poème ..., sonnet de Léon-Pamphile Le May qui me semble-t-il connait les vers que victor Hugo a dédié à l'univers ;
L'univers, c'est un livre ... . C'est ainsi que victor Hugo amorce la conclusion (provisoire et suspendue) de son poème-fleuve Dieu, vers la fin de la section VIII de la seconde partie, L'Océan d'en haut.
Version audio ICI
Même si je préfère la subtilité de Victor Hugo à la simplicité soumise de Le May, comment rendre compte du cheminement, des doutes, de la quête longue et sinueuse du grand écrivain, comment réduire sa pensée à quelques vers ? Comment ignorer qu'il a écrit en deux poèmes plusieurs milliers de vers avec La fin de Satan entre 1852 et 1862 environ, pour les laisser finalement inachevés l'un et l'autre, non sans en recycler de larges extraits par la suite. Sa pensée et ses idées, à l'épreuve de sa vie et de l'Histoire, ont considérablement évolué pendant cette période et se sont exprimé dans ses romans et poèmes de la maturité.
Je préfère de beaucoup à la conclusion de victor Hugo en forme de certitude, acte de foi balayant tant de pages de questionnement, ses doutes, justement, et son incroyable intuition sur la fragilité de la notion de temps et d'espace (que la physique quantique actuelle commence tout juste à dévoiler).
Il ne faut pas remonter bien loin, encore au début de la section VIII
VIII
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir.
Et ce point noir semblait une mouche dans l’ombre.
Comme un vert rejeton sort d’une souche sombre,
Des profondeurs sortait le jour éblouissant,
Je me précipitai vers le point grandissant,
Plus prompt que les oiseaux envolés hors des branches ;
C’était une lumière avec deux ailes blanches ;
Et qui m’avait semblé, lorsque je l’aperçus,
Obscure, tant le ciel rayonnait-au-dessus.
Cette clarté disait :
— Pas de droite et de gauche ;
Pas de haut ni de bas ; pas de glaive qui fauche ;
Pas de trône jetant dans l’ombre un vague éclair ;
Pas de lendemain, pas d’aujourd’hui, pas d’hier ;
Pas d’heure frissonnant au vol du temps rapace ;
Point de temps ; point d’ici, point de là ; point d’espace ;
Pas d’aube et pas de soir ; pas de-tiare ayant
L’astre pour escarboucle à son faîte effrayant ;
Pas de balance ; pas de sceptre, pas :de globe ;
Pas de Satan caché dans les plis de la robe ;
Pas de robe ; pas d’âme à la main ; pas de mains ;
Et vengeance, pardon, justice, mots humains.
Qui que tu sois, écoute : il est.
Qu’est-il ? Renonce !
Victor Hugo, Dieu, L'Océan d'en haut, VIII, édition posthume 1891
poème inachevé rédigé entre 1855 et 1861
Comment ne pas comprendre que Jules Laforgue, 1860 - 1887, connaissait ce texte de Victor Hugo lorsqu'il écrivait ce poème paru dans son recueil Les complaintes en 1885 :
Complainte du temps et de sa commère l'espace
Je tends mes poignets universels dont aucun
N'est le droit ou le gauche, et l'espace, dans un
Va-et-vient giratoire, y détrame les toiles
D'azur pleines de cocons à fœtus d'Étoiles.
Et nous nous blasons tant, je ne sais où, les deux
Indissolubles nuits aux orgues vaniteux
De nos pores à soleils, où toute cellule
Chante: moi ! Moi ! Puis s'éparpille, ridicule !
Elle est l'infini sans fin, je deviens le temps
Infaillible. C'est pourquoi nous nous perdons tant.
Où sommes-nous ? Pourquoi ? Pour que Dieu s'accomplisse ?
Mais l'éternité n'y a pas suffi ! Calice
Inconscient, où tout coeur crevé se résout,
Extrais-nous donc alors de ce néant trop tout !
Que tu fisses de nous seulement une flamme,
Un vrai sanglot mortel, la moindre goutte d'âme !
Mais nous bâillons de toute la force de nos
Touts, sûrs de la surdité des humains échos.
Que ne suis-je indivisible ! Et toi, douce espace,
Où sont les steppes de tes seins, que j' y rêvasse ?
Quand t'ai-je fécondée à jamais ? Oh ! Ce dut
Etre un spasme intéressant ! Mais quel fut mon but ?
Je t'ai, tu m'as. Mais où ? Partout, toujours. Extase
Sur laquelle, quand on est le temps, on se blase.
Or, voilà des spleens infinis que je suis en
Voyage vers ta bouche, et pas plus à présent
Que toujours, je ne sens la fleur triomphatrice
Qui flotte, m'as-tu dit, au seuil de ta matrice.
Abstraites amours ! Quel infini mitoyen
Tourne entre nos deux touts ? Sommes-nous deux ? ou bien
(Tais-toi si tu ne peux me prouver à outrance,
Illico, le fondement de la connaissance,
Et, par ce chant: Pensée, Objet, Identité !
Souffler le doute, songe d'un siècle d'été)
Suis-je à jamais un solitaire Hermaphrodite,
Comme le ver solitaire, ô ma sulamite ?
Ma complainte n'a pas eu de commencement,
Que je sache, et n'aura nulle fin ; autrement,
Je serais l'anachronisme absolu. Pullule
Donc, azur possédé du mètre et du pendule !
Ô Source du Possible, alimente à jamais
Des pollens des soleils d'exil, et de l'engrais
Des chaotiques hécatombes, l'automate
Universel où pas une loi ne se hâte.
Nuls à tout, sauf aux rares mystiques éclairs
Des élus, nous restons les deux miroirs d'éther
Réfléchissant, jusqu'à la mort de ces Mystères,
Leurs Nuits que l'amour jonche de fleurs éphémères.
Jules Laforgue, Les complaintes, 1885
photo de la voie lactée trouvée sur le net