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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 05:00

 

Pour M'amzelle Jeanne qui a courageusement et avec une bien belle idée pris la barre des CROQUEURS DE MOTS pour mener à bon port le Défi n°108, et nous permettre de repartis avec un(e) autre croqueur(se) vers une autreescale, puis d'autres encore.

 

Comme je manque de temps pour rédiger un inédit, j'en profite pour rééditer ce que j'avais écrit à la marge du sujet proposé au défi n°66 par vertdegrisaille. Le titre et le contenu sont, me semble-t-il, raccords avec le thème de M'amzelle Jeanne : 

 

Au-delà de la fenêtre ...

 

17 octobre 1968 : je frissonne en sortant des couvertures. Mon premier élan est de regarder par la fenêtre.

Voilà à peine un mois que je suis dans cette minuscule chambre de bonne et déjà une sourde tristesse s'immisce dans mon quotidien.

 

Le thermomètre affiche vaillamment un modeste 17° et le radiateur ne produira rien de plus.

 

Dans ce quartier cossu aux façades avenantes, je fais l'apprentissage de voisins pauvres. La dernière marche avant la misère car ils ont un toit solide, trop froid, sans confort à part l'eau courante, souvent froide. Il y a un wc à la turque pour tout l'étage. L'eau chaude, il faut aller la chercher au dernier étage, encore au-dessus.

 

Mes parents m'aideront à atteindre mes rêves, en se privant un peu plus sur le quotidien. Mais nous ne sommes pas à plaindre.

 

J'ai acheté un minuscule carnet et j'apprends à compter les moindres dépenses. Je ne suis pas à plaindre. J'ai juste froid, j'ai juste la rage de découvrir ces vieux qui vivent avec le minimum vieillesse, ces employées de maison (on dit encore bonnes à l'époque) qui travaillent du matin au soir six jours par semaine pour un salaire (on dit encore gages aussi) de misère ... ces portes fermées sur le logis d'autres étudiants qui cumulent leurs cours et un travail souvent peu rémunérateur, pour financer leurs études, et que je ne croise jamais ...

 

17 octobre 1969 : la pièce de 8 m2 n'est pas plus grande que ma chambre de bonne de Neuilly l'an dernier. Pourtant,l'espace est bien agencé, les murs sont propres et la lumière rentre à flots tandis que le chauffage central assure une douceur confortable. Le bureau est sous la large baie qui occupe toute la largeur de la chambre.

 

Entre deux pages étudiées, je lève les yeux pour voir ce ciel qui s'assombrit des pluies d'automme. 

 

Mon visage s'assombrit lorsque mes yeux quittent le ciel. Le paysage est barré sur ma gauche par le bâtiment des garçons de la cité universitaire, sur ma droite par un enchevêtrement des bretelles en béton de la prochaine autoroute. Il y a aussi des rails, à l'infini. Je ne me souviens plus bien où dans mon champs de vision. Ce dont je me souviens, ce qui m'étreignait le coeur chaque jour, sans accoutumance, c'est l'autre côté de la rue. Derrière les palissades qui le masquent aux piétons et aux voitures, mon regard se porte sur la fragilité des planches et des tôles mal jointes, la fumée qui s'échappe de simples tuyaux de poêles surmontant des toits en carton goudronné pour une étanchéité approximative.

 

De l'autre côté de la rue, c'est le bidonville de Nanterre.

Le 17 octobre ne m'évoque rien. En 1969, on fait encore silence sur cette terrible nuit. On se souvient surtout de Charonne.

 

Si on me l'avait appris, cette vue m'aurait-elle été plus insupportable encore ?

 

Combien de ces malheureux, hommes mais aussi femmes et enfants, étaient-ils partis ce 17 octobre 1961, pour défiler pacifiquement et avec confiance pour défier le couvre-feu qui venait de leur être imposé ?

 

Combien de femmes et d'enfants ne sont jamais revenus de cette marche sur Paris ?

Combien d'hommes, maris, pères, ne sont jamais revenus au bidonville ?

 

Si on me l'avait appris, cette vue m'aurait-elle été plus insupportable encore ?

 

Mais ce jour-là, je sais en revanche qu'en rentrant de mes menues courses pour la fin de semaine, (je compte toujours le moindre centime), un ou deux enfants seront sur mon passage, me demandant un morceau de pain.

J'ai pris l'habitude d'en acheter un peu plus, pour eux. Et tout à l'heure, je leur achèterai une tablette de chocolat.

 

17 octobre 2011 :  journée mondiale du refus de la misère.

 

Je ne sais pas s'il est ou non pertinent de rapprocher ces deux événements. Mais moi, ces mois passés à Nanterre, j'ai juste appris à cotoyer une misère qui restait digne, en mesurant mon impuissance devant ce qui s'étalait pudiquement au-delà de la palissade.

 

17 octobre 2011, alors même que, dans la dignité, les survivants veulent se recueillir sur le Pont de Neuilly de sinistre mémoire, ils devront se contenter d'un autre lieu car on leur en a refusé l'autorisation.

 

*****

 

Post scriptum (mise à jour du 25 octobre 2012) : 17 octobre 2012 vers 6 heures du soir

communiqué de presse de Monsieur François Hollande, Président de la République Française,

tel qu'il est lisible sur le site officiel de l'Elysée

 

"Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes."

François Hollande, Président de la République, 17 octobre 2012

 

 

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commentaires

F
et oui la vie n'est pas facile certains ont une belle vue d'autres ne l'ont hélas jamais
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J
<br /> <br /> Ce n'est pas la vue qui fait la vie facile ou non. et la misère, on ne la supprime pas plus que la poussière sous le tapis en la mettant derrière des palissades<br /> <br /> <br /> <br />
D
Je n'ai pas souvenir de cette tragédie je n'avais que deux ans, mais ce que je sais c'est que rien a changé !!!<br /> Merci pour ce rappel il prête à méditation.<br /> Afin de faciliter la tâche à notre chère Jeanne je te transmets ici le lien de ma participation.<br /> http://dimdamdom59.apln-blog.fr/2013/10/07/les-croqueurs-mots-fenetre-cour-virtuelle/<br /> Bisous Jeanne et à demain avec Conrad!!!<br /> Domi.
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J
<br /> <br /> On n'en parlait pas du tout dans les années qui ont suivi mais cela fait quand même un moment que la mémoire est revenue notamment aux medias<br /> <br /> <br /> <br />
F
Le sort des étudiants et des vieux n'a pas changé hélas! On a l'impression de reculer dans le temps !<br /> La misère s'accentue.<br /> Il était temps de rendre hommage à ces gens innocents qui sont morts pour leur dignité! Bises
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J
<br /> <br /> l'Histoire est un vaste mouvement de balancier. La période est difficile. Peut-on comparer le sort des étudiants de 1960 et 1970 et celui des étudiants de maintenant ? Je n'en suis pas tout à<br /> fait certaine. Les inégalités se sont réaccentuées ces vingt ou trente dernières années. Elle ne se voit pas toujours à l'oeil nu. C'est vrai.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
M
Une page émouvante et très instructive d'un point de vue historique. Mais la misère, mon Dieu, quand ce mot n'existera-t-il plus!
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J
<br /> <br /> Ca je ne sais pas. Mais les égoïsmes collectifs ne me font pas espérer sa fin proche<br /> <br /> <br /> <br />
S
Une fenêtre qui parle beaucoup, touchant.
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J
<br /> <br /> 9 mois à avoir une vue plongante sur la misère en 1969-1970. Et à entendre en parallèle les propos méprisants et à jeter un oeil indigné sur des tracts racistes qu'on osait distribuer jusque dans<br /> les boites à lettres des résidences d'étudiants.<br /> <br /> <br /> <br />
H
Bonjour Jeanne,<br /> <br /> Ton billet est magnifique, il nous en rappelle des tristes souvenirs, mais les années sont passées et le monde a-t-il changé ? Je pense hélas que non. Quelle tistesse § Bises bien amicales.<br /> <br /> Henri.
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J
<br /> <br /> le monde n'a pas diminué les inégalités et depuis quelque temps c'est même le contraire. C'est bien triste en effet<br /> <br /> <br /> <br />
C
Merci de rappeler l'horreur silencieuse de l'Histoire à travers la fenêtre.
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J
<br /> <br /> Au niveau de la rue on ne voyait pas grand chose sinon des palissades et des enfants maigres. Mais la vue de ma fenêtre était plongeante.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Ton billet est très émouvant... tu as su regarder, te souvenir et nous rappeler toutes ces misères qui ne font que continuer.. Ce matin de notre fenêtre, nos regards ne vont pas jusqu'à Lumpelusa..<br /> mais nous savons que l'horreur est encore là-bas. Combien vont fermer encore leurs fenêtres en entendant appeler au secours ?<br /> L'homme est un loup pour l'homme!<br /> Jeanne mon amie.. ne soyons pas pessimistes.. de notre fenêtre regardons, recherchons aussi ce qu'il y a de bien.<br /> Je t'embrasse très fort.
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J
<br /> <br /> Nos regards non mais les habitants de Lampedusa ne détournent pas le regard et aident ces gens qui fuyent des situations intenables. Ceux de Malte ? <br /> <br /> <br /> Ce qu'il y a de bien, beaucoup de petites gouttes de larme dans l'océan, comme Malala par exemple qui aurait bien mérité le prix nobel de la paix<br /> <br /> <br /> Je t'embrasse moi aussi<br /> <br /> <br /> <br />
L
Quand la fenêtre se fait militante, on est chez Jeanne Fa Do Si ! Pour le thème des fenêtres de Jeanne M'mamzelle, il fallait que ce paysage figure au tableau, merci beaucoup, gros bisous.
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J
<br /> <br /> de toutes façona je savais ne pas avoir le temps d'écrire un nouveau texte et celui-ci était comme écrit sur mesure pour ce lundi<br /> <br /> <br /> bises<br /> <br /> <br /> <br />
E
des souvenirs de honte, comme l'histoire en offre tant; J'ai entendu cette phrase un jour dans la bouche d'Albert Jacquart "l'homme est incliné au mal, mais disposé au bien". mais en groupe l'homme<br /> n'est plus un humain, c'est une meute, et pour peu qu'elle obéisse à un chef ou une idéologie malfaisants...
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J
<br /> <br /> Encore une bien belle citation d'Albert Jacquart. L'homme en meute, Madagascar nous en a hélas montré l'effrayante possibilité quoique aient fait ou non en vrai ces hommes lynchés à mort. Les<br /> infos me renvoyaient à ce déroutant livre de Jean Teulé, Magez-le si vous voulez, où il décrit par le détail ce qu'il imagine d'un fait divers assez similaire d'une foule allucinée et allucinante<br /> ...<br /> <br /> <br /> mais il est des suivismes moins repérables et c'est peut-être plus inquiétant encore ...<br /> <br /> <br /> <br />
M
les bidonvilles ici ou là ont mis bien du temps avant d'être détruits pour renaitre quelques dizaines d'années ensuite pour d'autres parias de la société....ton article est très fort....je n'arrive<br /> rien à dire de plus mais je comprends que ton regard acéré sur les gens vient de là aussi....<br /> bisou Jeanne
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J
<br /> <br /> oui ils existent à nouveau et c'est une honte de nos sociétés. La saleté et la misère personne n'en veut. En premier ceux qui y sont contraints ! quant aux différences de fonctionnement, il y en<br /> a forcément ... Je ne vis pas comme un voisin qui se lève aux aurores et se couche comme les poules, ni comme une ancienne voisine qui travaillait de nuit et dont il n'était pas toujours facile<br /> de se souvenir de respecter son sommeil, ni comme ... <br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
J
Trop petite en 61... Alors merci pour ton billet du lundi Croqueurs, bises, jill
Répondre
J
<br /> <br /> Ben oui, moi aussi je n'avais que 11 ans Ce n'est que plus tard que j'ai su. Même à Nanterre je ne sais pas si j'avais conscience de ce qui c'était vraiment passé<br /> <br /> <br /> Par contre Charonne, je savais, mais parce que mon parrain dont c'était la station quand il rentrait du travail, pouvait dire. Et encore, c'était si pénible qu'il se taisait le plus souvent.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />

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