Le défi n°39 des Croqueurs de mots, est mené avec maestria cette quinzaine par Olivier de Vaux, sous le regard souriant de Tricôtine.
Vous êtes pris d'une incoercible envie de fair pipi à un moment
fort inopportun :
racontez, mais sans faire usage de mots contenant la lettre i
Les gosses sont un peu cruels, ne comprenant pas l'esclavage du temps sur le corps.
En voyage, en convoquant mon cerveau jusque dans mon plus jeune âge, mon père a toujours arrêté l'auto, par tous les temps, pour arroser le fossé, ou les fleurs, un bon quart d'heure avant que je n'en comprenne l'usage.
Pas moyen de rouler plus de deux heures sans ces haltes champêtres et souvent à découvert. Pour les garçons, pas de problème, le dos à la route et le jet est masqué aux passagers des rares autos de l'époque.
Nous, mes soeurs, ma mère, c'est un autre casse tête !
D'abord trouver un fourré nous cachant aux regards. Trouver la bonne posture pour se garder des éclaboussures et des chutes, - pas agréable le fond d'une culotte arrosée -, s'écorcher aux ronces et aux fougères, sans compter le désagrément des rafales de vent, ou même de l'eau glacée,
Tous ces tracas pour quelques gouttes attendues de longues secondes... Car ce n'est pas encore le bon moment.
Pendant ce temps, mon père et mes frères sont déjà remontés au chaud et le moteur ronronne.
- Pressons, pressons, la route est longue.
Souvent, une heure plus tard, l'une d'entre nous ose du bout des lèvres demander une halte.
- Encore ! Ca peut attendre, tout de même ! Y a pas une heure qu'on s'est arrêtés. Vous êtes toujours à réclamer.
Dans ces cas-là, ce n'est pas prudent de persevérer dans notre demande. Nous serrons les fesses, en espérant que dans quelques courbes, un bosquet nous sauvera des débordements.
Chut ! je vous entends devant mon écran, ça vous rappelle des moments vécus ... je me trompe ?
Sauf qu'un jour récent, toute seule au volant, un bouchon monstre me bloque sur l'autoroute, cernée de toutes parts par des autos et des gros cubes. Deux heures que je roule, non que j'avance à l'allure d'une tortue, mètre par mètre, avec de longs arrêts, et l'horloge de mon corps, avec les années, réclame en ces occurrences des étapes plus rapprochées. Même entre deux portes, n'y pensons pas ! Cette presque douleur que je m'efforce de masquer* me ramène à l'enfance, je convoque à nouveau les méandres de mon cerveau, rappelle aux ordres, pour la bonne cause, les stratagèmes pour attendre sans drame.
Dehors, les nuages s'effondre en douche avec fracas sur les capots et le goudron. Dans l'espace clos de mon auto,mes parents se sont engouffrés, surfant sur la vague de mes pensées, avec leurs tendres querelles.
Jeanne Fadosi, dimanche 3 octobre 2010, pour le trente-neuvième défi des Croqueurs de mots,
programmé pour le lundi 4 octobre à 8 heures du matin heure de Paris.
* en m'occupant à des photos, par exemple.