Il y a tout juste un mois (un tout petit peu moins c'est vrai, vous n'allez pas pinailler, c'est si peu important ...) je mettais en ligne ce billet
qui font le sel de ma vie (clin d'oeil au titre du dernier petit ouvrage de Françoise Héritier "Le sel de la vie".
La description d'une journée ordinaire jalonnée de ces minuscules événements où je puise, à chaque instant, mon plaisir de vivre.
"Qu'est-ce qui te fait plaisir ?????" (sic avec tout plein de points d'interrogation), c'est en effet LE CASSE-TÊTE DE LA SEMAINE que nous a proposé Sherry pour la semaine qui s'achève.
Le plaisir, encore un sujet et une question vastes comme une thèse de doctorat et vieux comme le monde !
Alors oui, il y a tout au long des jours ces petits riens ... et ces rencontres de connivence quand le regard croise d'autres regards inconnus, attentifs et réactifs aux mêmes petits riens.
Mais il y a aussi ces moments rares, de ces rendez-vous d'affection pour lesquels on s'habille le coeur à l'avance, comme le renard apprivoisé attendant le Petit Prince*.
Trois mots dans un message, "à ce soir", qui auraient pris dix secondes, qui auraient habillé la journée de soleil.
Un message qui n'est pas parti, ou qui n'est pas arrivé ...
Et le souci tout bête qui perdure tout le jour, qui empêche de goûter les petits riens habituels.
Et si elle ne venait pas ?
Qui flotte dans la tête malgré la circulation fluide, malgré la place de stationnement trouvée du premier coup. C'est pourtant si rare.
Qui empêche aussi de remarquer le carton sur la grille de métro, à trois mètres de la voiture. Mais qui rend tous ces complets sombres, l'oreille collée à leur mobile banal ou à leur ordiphone, étrangement présents et absents, tels des fantomes, indifférents à ce qui est sans doute un décor habituel dans leur paysage urbain.
Enfin le sms tant attendu.
Ce soir-là, je vais au théâtre. Nous allons au théâtre.
A Paris. voir "Deshabillez mots". Pouvu que ça lui plaise. J'ai fait le tour des rues, retiré les billets réservés.
C'était quand déjà, la dernière fois ?
Le coeur plus léger maintenant. L'oeil plus attentif. Quelques piécettes dans le gobelet tendu par un homme aimable, qui passerait inaperçu parmi les passants, s'il ne quêtait pas. Nous échangeons même quelques banalités.
J'ai fait le tour du quartier. Retour près du Crazy Horse devant lequel j'ai trouvé à me garer. J'avise le carton et une jambe qui en dépasse, toute menue.
Dans un pantalon de ville en tissu léger, qui cache la chaussure.
Les hommes en costume devant le cabaret y sont indifférents. La jambe bouge légèrement comme pour me signaler qu'un peu de vie l'habite dans son sommeil.
Je prend la brioche et la bouteille d'eau. Il est encore trop tôt et je n'ai pas faim. Cette fois je vais vers le fleuve.
Assis sur le parapet, en surplomb du parking d'autocars, des jeunes gens attendent sagement, le visage las et joyeux, sacs à dos à leur pieds. Dans le soir, les bateaux de croisière se croisent. Les tables nappées de blanc y ont remplacé les rangées de sièges en plastique.
De l'autre côté de la Seine, je me souviens d'une promenade et de quelques bancs. Près de l'entrée pour la visite des égouts de Paris. Tiens, c'est vrai, je ne les ai jamais visités. Faut-il le faire avec une pince à linge sur le nez ?
Une évocation qui suffit à me faire sourire. Comme ça ... Un jeune couple s'est photographié, l'ordiphone à bouts de bras.
Sourire intérieur à leur bonheur affiché.
Devant la Seine qui ondule dans la lumière déclinante, je relis "Le sel de la vie" de Françoise Héritier en grignotant ma brioche.
Sans même un carré de chocolat noir.
Tout à l'heure, j'attendrai, confiante, m'étonnant en les admirant de l'élégance de certaines tenues. Le plaisir de s'habiller pour sortir. Me souvenant de cette époque pas si lointaine où "s'habiller" pour sortir au spectacle, était pour certains lieux une obligation. Un obstacle de plus pour ceux qui n'avaient pas les moyens d'ajouter au billet le luxe de tels vêtements.
La montée vers le studio n'en finit pas. Je comprend l'ascenseur que j'ai étourdiment snobé tout à l'heure.
Quelques mots échangés. Je raconte les vitrines des grands couturiers. Elle grignote une tranche de brioche.
Les lumières s'éteignent ...
Ce soir, le plaisir du spectacle se partage, dans un silence bienveillant et attentif, entre sourires et rires.
Ce soir, les applaudissements, chaleureux,restent suspendus jusqu'à la fin du spectacle, comme pour ne pas rompre le charme bienveillant du silence**, entre deux strip-texte.
Un soir entre parenthèse, avant de retrouver ces petits riens quotidiens qui habillent la vie ...
*Le Petit Prince, Antoine de saint Exupéry, .
** Eléonore Chaix et Flor Lurienne nous en proposent l'écoute (du silence tel qu'elles le déshabillaient déjà avec talent en 2008) sur leur site officiel.
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