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6 juin 2013 4 06 /06 /juin /2013 01:59

 

Mon jeudi en poésie principal fait un salut de chat au soleil ICI !

 

en bonus pour le défi n°104 des CROQUEURS DE MOTS mené par Eglantine-Lilas pour les lecteurs qui ont un peu plus de temps

 

EPITAPHE

 

D'UN CHAT.

 

MAINTENANT le vivre me fâche ; 

Et afin, Magny, que tu sçache,

Pourquoi je suis tant éperdu,

Ce n'est pas pour avoir perdu

Mes anneaux, mon argent, ma bourse ;

Et pourquoi est-ce donques ? pour ce

Que j'ai perdu depuis trois jours

Mon bien, mon plaisir, mes amours.

Et quoi ? ô souvenance gréve !

A peu que le cœur ne me creve,

Quand j'en parle, ou quand j'en écris :

C'est Belaud mon petit Chat gris :

Belaud, qui fut par avanture

Le plus bel œuvre de que Nature

Fit onc en matiere de Chats :

C'étoit Belaud la mort aux Rats,

Belaud, dont la beauté fut telle,

Qu'elle est digne d'être immortelle.

        Donques Belaud premierement

Ne fut pas gris entierement,

Ni tel qu'en France on les voit naître ;

Mais tel qu'à Rome on les voit être.

Couvert d'un poil gris argentin,

Ras & poli comme satin,

Couché par ondes sur l'eschine,

Et blanc dessous comme un hermine :

        Petit museau, petites dents,

Yeux qui n'étoient point trop ardents ;

Mais desquels la prunelle perse,

Imitoit la couleur diverse

Qu'on voit en cet arc pluvieux,

Qui se courbe au travers des Cieux.

        La tête à la taille pareille,

Le col grasset, courte l'oreille,

Et dessous un né ébenin,

Un petit mufle lyonnin,

Au tour duquel étoit plantée

Une barbelette argentée,

Armant d'un petit poil folet

Son musequin damoiselet.

        Jambe gresle, petite patte,

Plus qu'une moufle delicate ;

Sinon alors qu'il degaînoit

Cela, dont il égratignoit :

La gorge douillette & mignonne,

La queue longue à la guenonne,

Mouchetée diversement

D'un naturel bigarement :

Le flanc haussé, le ventre large,

Bien retroussé dessous sa charge,

Et le dos moyennement long,

Vrai sourian, s'il en fut ong.

        Tel fut Belaud, la gente Bête,

Qui des pieds jusques à la tête,

De telle beauté fut pourvû,

Que son pareil on n'a point vû.

O quel malheur ! ô quelle perte,

Qui ne peut être recouverte !

O quel deuil mon ame en reçoit !

Vraiment la mort, bien qu'elle soit

Plus fier qu'un ours, l'inhumaine,

Si de voir, elle eût pris la peine,

Un tel Chat, son cœur endurci

En eût eu, ce croi-je, merci :

Et maintenant ma triste vie

Ne haïroit de vivre l'envie.

        Mais la cruelle n'avoit pas

Goûté les folâtres ébas

De mon Belaud, ni la souplesse

De la gaillarde gentillesse :

Soit qu'il sautât, soit qu'il gratât,

Soit qu'il tournât, ou voltigeât

D'un tour de Chat, ou soit encores,

Qu'il print un Rat, & or & ores

Le relâchant pour quelque temps

S'en donnât mille passe-temps.

        Soit que d'une façon gaillarde

Avec sa patte fretillarde,

Il se frottât le musequin ;

Ou soit que ce petit coquin

Privé sautelât sur ma couche,

Ou soit qu'il ravît de ma bouche,

La viande sans m'outrager,

Alors qu'il me voyoit manger ;

Soit qu'il fît en diverses guises

Mille autres telles mignardises.

        Mon Dieu ! quel passe-tems c'étoit

Quand ce Belaud vire-voltoit,

Folâtre au tout d'une pelotte ?

Quel plaisir, quand sa tête sotte

Suivant sa queue en mille tours,

D'un roüet imitoit le cours !

Ou quand assis sur le derriere

Il s'en faisoit une jarretitere

Et montrant l'estomac velu,

De panne blanche crespelu,

Sembloit, tant sa trogne étoit bonne,

Quelque Docteur de la Sorbonne ;

Ou quand alors qu'on l'animoit,

A coups de patte il escrimoit,

Et puis appaisoit sa colere,

Tout soudain qu'on lui faisoit chere.

        Voilà, Magny, les passe-temps,

Où Belaud employoit son temps ;

N'est-il pas bien à plaindre donques ?

Au demeurant tu ne vis onques

Chat plus adroit, ni mieux appris

A combattre Rats & Souris.

        Belaud sçavoit mille manieres

De les surprendre en leurs tesnieres,

Et lors leur falloit bien trouver

Plus d'un pertuis, pour se sauver ;

Car onques Rat, tant fût-il vite,

Ne se vit sauver à la fuite

Devant Belaud ; au demeurant

Belaud n'étoit pas ignorant :

Il sçavoit bien, tant fut traitable,

Prendre la chair dessus la table,

J'entens, quand on lui presentoit,

Car autrement il vous grattoit,

Et avec la patte friande

De loin muguetoit la viande.

        Belaud n'étoit point mal-plaisant,

Belaud n'étoit point mal-faisant,

Et ne fit oncq; plus grand dommage

Que de manger un vieux fromage,

Une linotte & un pinson

Qui le fâchoient de leur chanson ;

Mais quoi, Magny, nous-mêmes hommes

Parfaits de tous points nous ne sommes.

        Belaud n'étoit point de ces Chats,

Qui nuit & jour vont au pourchats,

N'ayant souci que de leur panse :

Il ne faisoit si grand' dépense,

Mais étoit sobre à son repas

Et ne mangeoit que par compas.

        Aussi n'étoit-ce sa nature

De faire par-tout son ordure,

Comme un tas de Chats, qui ne font

Que gâter tout par où ils vont.

Car Belaud, la gentille bête,

Si de quelque acte moins qu'honnête,

Contraint, possible il eût été,

Avoit bien cette honnêteté

De cacher dessous de la cendre

Ce qu'il étoit contraint de rendre.

        Belaud me servoit de joüet ;

Belaud ne filoit au roüet,

Gromelante une letanie

De longue & fâcheuse harmonie ;

Ains se plaignoit mignardement

D'un enfantin miaudement.

        Belaud (que j'aye souvenance)

Ne me fit oncq; plus grand' offense

Que de me réveiller la nuit,

Quand il entroyoit quelque bruit

De Rats qui rongeoient ma paillasse :

Car lors il leur donnoit la chasse,

Et si dextrement les happoit,

Que jamais un n'en échappoit ;

Mais, las, depuis que cette fiere

Tua de sa dextre meurtriere

La sure garde de mon corps,

Plus en sureté je ne dors :

Et or, ô douleurs non pareilles !

Les Rats me mangest les oreilles :

Même tous les vers que j'écris,

Sont rongez de Rats & Souris.

        Vraiment les Dieux sont pitoyables

Aux pauvres humains miserables

Toujours leur annonçant leurs maux,

Soit par la mort des animaux,

Ou soit par quelqu'autre présage,

Des Cieux le plus certain message.

        Le jour que la sœur de Cloton

Ravit mon petit peloton,

Je dis, j'en ai bien souvenance,

Que quelque maligne influence

Menaçoit mon chef de là haut,

Et c'étoit la mort de Belaud :

Car quelle plus grande tempête

Me pouvoit foudroyer la tête !

Belaud étoit mon cher mignon,

Belaud étoit mon compagnon,

A la chambre, au lit, à la table ;

Belaud étoit plus accointable

Que n'est un petit Chien friand,

Et de nui n'alloit point criand

Comme ces gros Marcous terribles,

En longs miaudemens horribles :

Aussi le petit Mitouard

N'entra jamais en Matouard :

Et en Belaud, quelle disgrace !

De Belaud s'est perdu la race.

        Que plaît à Dieu, petit Belon,

Que j'eusse l'esprit assez bon,

De pouvoir en quelque beau stile

Blasonner ta grace gentile,

D'un vers aussi mignard que toi :

Belaud, je te promets ma foi,

Que tu vivrois, tant que sur terre

Les Chats aux Rats feront la guerre.

 

Par Du Bellay, Gentil-homme Angevin. 1568.

 

transcrit par François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Du Bellay: Epitaphe d'un chat: pp. 156-164.

 

Joachim Du Bellay, ~1522 - 1560, poète Français

 

 

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commentaires

L
Et, peut-être, un poète amoureux des chats était-il suspect aussi, merci, Jeanne, de nous plonger dans l'atmosphère de l'époque, dans le contexte du poème.
Répondre
J
<br /> <br /> Sans aucun doute. Heureusement qu'il était un membre de la pléïade et protégé comme tel par François 1er<br /> <br /> <br /> <br />
M
Un très long poème dans le langage précieux et fleuri de ce siècle, je suis amusée d'y trouver le même style que pour une déclaration à sa belle!
Répondre
J
<br /> <br /> et encore, là tu as une version modernisée, Les poètes de la Pléiade se sont donnés pour mission de donner ses lettres de noblesse à la langue française encore peu utilisée par les clercs, mais<br /> elle est encore en pleine construction<br /> <br /> <br /> <br />
L
mon dieu !! mais il est intarissable-ce Joch !!<br /> un peu long- surtout le soir-<br /> bisous !!
Répondre
J
<br /> <br /> il faut le lire plusieurs fois et je ne suis pas encore sûre d'avoir tout compris<br /> <br /> <br /> <br />
F
un bien beau poème et long sur le chat et triste de perdre son animal de compagnie
Répondre
J
<br /> <br /> un thème nouveau à l'époque où l'on regardait encore de travers les amis des chats<br /> <br /> <br /> <br />
L
Bonjour Jeanne,<br /> <br /> J'aime beaucoup les poèmes de Joachim du Bellay mais j'avoue que je ne connaissais pas celui là. Il est magnifique. Merci. Bises bien amicales.<br /> <br /> Henri.
Répondre
J
<br /> <br /> celui-là je l'ai découvert tardivement et j'avoue qu'il me faut plusieurs lectures pour en comprendre les différents sens <br /> <br /> <br /> <br />
L
Bonjour Jeanne,<br /> <br /> Combien de grands auteurs ont été inspirés par "le chat" Joachim du Bellay (c'était un des favoris de notre prof de Français) à écrit là un poème magnifique. Merci. Bises bien amicales.<br /> <br /> Henri.
Répondre
J
<br /> <br /> Du Bellay, on le connait surtout pour ses sonnets et pour Heureux qui comme Ulysse ... J'ai découvert cet epitaphe grâce à un jeu d'écriture sur Internet.<br /> <br /> <br /> Il fallait du courage à cette époque où les chats n'étaient pas encore réhabilités. Plus tard Richelieu en eut 13 en même temps et prit même des dispositions testamentaires pour qu'ils soient<br /> soignés et ne manquent de rien après sa mort, ce qui fut fait.<br /> <br /> <br /> bises amicales<br /> <br /> <br /> <br />
L
Oh, magnifique et tendre hommage de du Bellay à son chat ! Merci beaucoup, Jeanne, de nous le faire découvrir. Bises.
Répondre
J
<br /> <br /> et un écrit courageux aussi. C'était une époque où les dames qui avaient des chats étaient soupçonnées de sorcellerie<br /> <br /> <br /> bises<br /> <br /> <br /> <br />
E
ah ça je découvre ! c'est un bien grand chagrin ...
Répondre
J
<br /> <br /> oh oui. et un écrit courageux dans une époque où les amis des chats étaient encore regardés de travers<br /> <br /> <br /> <br />
J
Il n'a pas lésiné sur la longueur... je découvre ! Merci...
Répondre
J
<br /> <br /> un écrit militant aussi dans une époque ou l'inquisition catholique régnait et où les amis des chats passaient pour des sorciers.<br /> <br /> <br /> <br />

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