pour le deuxième jeudi en poésie des CROQUEURS DE MOTS sur le thème du voyage, Lénaïg, aux commandes du défi n°61 nous propose en mode grave, l'exil et le mal du pays, en mode joyeux, le bonheur du retour.
Aragon, avec l'optimisme du désespoir, a écrit ce poème au coeur de l'année 1943. pour tous ceux qui, habitant la france à des titres divers, ont été déportés (la solution finale n'est pas connue encore) ou prisonniers, ou ont fui.
Je vous salue ma France ...
Lorsque vous reviendrez car il faut revenir
Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez
Il y aura des fleurs couleur de l'avenir
Il y aura des fleurs lorsque vous reviendrez
Vous prendrez votre place où les clartés sont douces
Les enfants baiseront vos mains martyrisées
Et tout à vos pieds las redeviendra de mousse
Musique à votre coeur calme où vous reposer
Haleine des jardins lorsque la nuit va naître
Feuillages de l'été profondeur des prairies
L'hirondelle tantôt qui vint sur la fenêtre
Disait me semble-t-il Je vous salue Marie
Je vous salue ma France arrachée aux fantômes
O rendue à la paix Vaisseau sauvé des eaux
Pays qui chante Orléans Beaugency Vendôme
Cloches cloches sonnez l'angelus des oiseaux
Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle
Jamais trop mon tourment mon amour jamais trop
Ma France mon ancienne et nouvelle querelle
Sol semé de héros ciel plein de passereaux
Je vous salue ma France où les vents se calmèrent
Ma France de toujours que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l'oiseau du large y vienne et se confie
Je vous salue ma France où l'oiseau de passage
De Lille à Roncevaux de Brest au Mont-Cenis
Pour la première fois a fait l'apprentissage
De ce qu'il peut coûter d'abandonner un nid
Patrie également à la colombe ou l'aigle
De l'audace et du chant doublement habitée
Je vous salue ma france où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité
Je vous salue ma France où le peuple est habile
A ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l'on vient de loin saluer dans sa ville
Paris mon coeur trois ans vainement fusillé
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu'il ne tonnera plus
Liberté dont frémit le silence des harpes
Ma France d'au-delà le déluge salut
Louis Aragon, 1897 - 1982
Août-septembre 1943, Le Musée Grévin, Editions de Minuit sous le pseudonyme de François la Colère
Sur le mode tragique et fier, il a écrit cet autre poème (clic sur l'image)