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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 09:00

Le Casse tête de la semaine, sous la houlette de la fermière Lajemy, nous a mis les mots de tête à l'envers pour jouer avec.

Je l'ai abordé ICI à ma manière un peu décalée.

 

Dans ce billet, voici le texte en entier du poème de Victor Hugo dont je vous ai présenté les huit premiers vers :

(pour une meilleure compréhension, je me permets de transcrire les notes de l'éditeur. J'espère qu'il ne m'en tiendra pas rigueur, et j'ajoute aussi quelques notes personnelles notées 1*, 2*, etc)

 

 

Le pere F en 73poesiegrandpere75mondion55.jpgVHugoartgrandpere 

 

 

 

 

Grand âge et bas âge mêlés

X

 

Tout pardonner c'est trop, tout donner, c'est beaucoup !

Eh bien, je donne tout et je pardonne tout

Aux petits ; et votre oeil sévère me contemple.

Toute cette clémence est de mauvais exemple.

Faire de l'amnistie(1) en chambre est périlleux.

Absoudre des forfaits commis par des yeux bleus

Et par des doigts vermeils et purs, c'est effroyable.

Si cela devenait contagieux, que diable !

Il faut un peu songer à la société.

La férocité sied à la paternité ;

Le sceptre doit avoir la trique pour compagne ;

L'idéal, c'est un Louvre appuyé sur un bagne ;

Le bien doit être fait par une main de fer.

Quoi ! si vous étiez Dieu, vous n'auriez pas d'enfer ?

Presque pas. Vous croyez que je serais bien aise

De voir mes enfants cuire au fond d'une fournaise ?

Eh bien ! non. Ma foi non ! J'en fais mea-culpa ;

Plutôt que Sabaoth je serais Grand-papa.

Plus de religion alors ? Comme vous dites.

Plus de société ? Retour aux troglodytes,

Aux sauvages(2*), aux gens vêtus de peaux de loups(3*) ?

Non, retour au vrai Dieu, distinct du Dieu jaloux,

Retour à la sublime innocence première,

Retour à la raison, retour à la lumière !

Alors vous êtes fou, grand-père. J'y consens.

Tenez, messieurs les forts et messieurs les puissants,

Défiez-vous de moi, je manque de vengeance.

Qui suis-je ? Le premier venu, plein d'indulgence,

Préférant la jeune aube à l'hiver pluvieux,

Homme ayant fait des lois, mais repentant et vieux,

Qui blâme quelquefois mais qui jamais ne damne,

Autorité foulée aux petits pieds de Jeanne,

Pas sûr de tout savoir, en doutant même un peu,

Toujours tenté d'offrir aux gens sans feu ni lieu

Un coin du toit, un coin du foyer, moins sévère

Aux péchés qu'on honnit qu'aux forfaits qu'on révère,

Capable d'avouer les êtres sans aveu.

Ah ! ne m'élevez pas au grade de bon Dieu !

Voyez-vous, je ferais toutes sortes de choses

Bizarres ; je rirais ; j'aurais pitié des roses,

Des femmes, des vaincus, des faibles, des tremblants ;

Mes rayons seraient doux comme des cheveux blancs ;

J'aurais un arrosoir assez vaste pour faire

Naître des millions de fleurs dans toute sphère,

Partout, et pour éteindre au loin le triste enfer(2) ;

Lorsque je donnerais un ordre, il serait clair ;

Je cacherais le cerf aux chiens flairant sa piste ;

Qu'un tyran pût jamais se nommer mon copiste,

Je ne le voudrais pas ; je dirais : Joie à tous !

Mes miracles seraient ceci : - Les hommes doux. -

Jamais de guerre. - Aucun fléau. - Pas de déluge(3). -

- Un croyant dans le prêtre, un juste dans le juge. -

Je serais bien coiffé de brouillard, étant Dieu,

C'est convenable ; mais je me fâcherais peu,

Et je ne mettrais point de travers mon nuage

Pour un petit enfant qui ne serait pas sage ;

Quand j'offrirais le ciel à vous, fils de Japhet,

On verrait que je sais comment le ciel est fait ;

Je n'annoncerais point que les nocturnes toiles

Laisseraient pêle-mêle un jour choir les étoiles,

Parce que j'aurais peur, si je vous disais ça,

De voir Newton pousser du coude Spinoza ;

Je ferais à Veuillot(3) le tour épouvantable

D'inviter Jésus-Christ et Voltaire à ma table,

Et de faire verser mon meilleur vin, hélas,

Par l'ami de Lazare à l'ami de Calas ;

J'aurais dans mon éden, jardin à large porte,

Un doux water-closet(5*) mystérieux, de sorte

Qu'on puisse au paradis mettre le Syllabus(4) ;

Je dirais aux rois : Rois, vous êtes des abus,

Disparaissez. J'irais, clignant de la paupière,

Rendre aux pauvres leurs sous sans le dire à Saint-Pierre,

Et, sournois, je ferais des trous dans son panier

Sous l'énorme tas d'or qu'il nomme son denier ;

Je dirais à l'abbé Dupaloup : moins de zéle !

Vous voulez à la vierge ajouter la Pucelle(5),

C'est cumuler, monsieur l'évêque ; apaisez-vous.

Un Jéhovah trouvant que le peuple à genoux

Ne vaut pas l'homme droit et debout, tête haute,

Ce serait moi. J'aurais un pardon pour la faute,

Mais je dirais : Tâchez de rester innocents.

Et je demanderais aux prêtres, non l'encens,

Mais la vertu. J'aurais de la raison. En somme,

Si j'étais le bon Dieu, je serais un bon homme(6).

Victor Hugo, L'art d'être Grand-père, poèmes Gallimard, édition 2008, pages 108 à 110

 

 

notes Gallimard :

(1) ce mot a une forte connotation politique en 1873-1876 : Hugo mène une campagne active pour l'amnistie des communards et dépose au Sénat une proposition de loi pour l'amnistie générale qui est rejetée le 22 mai 1876.

(2) tout en s'amusant, Hugo expose ici sa doctrine sur la fin de Satan et le salut des planètes damnées qui seront parsemées de fleurs.

(3) Hugo fait concrètement référence aux graves inondations de 1875 qui ont ravagé la région de Toulouse et dont le journaliste célèbre Louis veuillot (oublié aujourd'hui sans surprise) qui déclarait dans un article du journal l'Univers du 28 juin 1875 que c'était un châtiment de Dieu

(4) Le Syllabus publié sur ordre de Pie IX, le 8 décembre 1964, à l'issue de l'encyclique Quanta cura,renfermait les "principales erreurs de notre temps" : rationalisme, libéralisme, socialisme, etc.

(5) le 8 mai 1869, l'évêque d'Orléans s'efforce de faire établir la sainteté de Jeanne d'Arc. Elle sera fianlement béatifiée en 1914 et canonisée en 1920.(4*)

(6) Ce vers final figue dans l'ébauche du Reliquat :

Certes, j'accorde à l'âme humaine ce besoin,

Un bon Dieu, mais on doit de ses fils avoir soin,

On doit justifier le nom dont on se nomme,

Si j'étais un bon Dieu, je serais un bon homme.

 

Mes propres grains de sel

(1*) Victor Hugo évoque ses petits enfants, Jeanne et Georges, nés en 1869 et 1868 et qui avaient sans doute tout simplement les yeux bleus.

(2*) revoici les sauvageons, devenus  des sauvages adultes

(3*) pourquoi des peaux de loups plutôt que des peaux d'autres animaux ? J'y vois peut-être un clin d'oeil au fait que les loups vivent en sociétés organisées selon des lois.

(4*) Je suis frappée par la coïncidence de cette date de la béatification avec l'atmosphère de va-t-en guerre qui prévaut cette année-là avant le début de la première guerre mondiale.

(5*) cette note est pour les plus jeunes qui ignorent peut-être que WC vient de water closets. Je suppose qu'il est inutile de développer davantage pourquoi Hugo mat le Syllabus dans ce lieu..

 

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commentaires

<br /> <br /> Merci pour ta judicieuse participation et pour tes grains de sel Jeanne ! belle semaine à toi<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> tes suggestions ont l'avantage de laissées grandes ouvertes les portes des sensibilités diverses et c'est ce qui fait le sel de toutes les contributions assemblées. Merci de coordonner tout cela<br /> en plus des multiples et prenantes activités de ta "vraie" vieque je ne connais pas, mais que je devine à travers ce blog<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Bonjour Jeanne,<br /> <br /> <br /> Merci pour ce long poème et ses commentaires. Hugo était engagé, il s'est fait "exiler" pour cela : avons-nous à notre époque encore des gens de cette envergure ? C'est quand nous ne serons plus,<br /> qu'on saura qui a marqué réellement le siècle !<br /> <br /> <br /> bonne journée<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Je crois qu'il y en a quelques uns ! et c'est vrai que c'est souvent après qu'ils apparaissent encore que l'oubli est souvent aussi incompréhensible alors qu'on retient des scandaleux simplement<br /> pour leur belle plume et l'aspect sulfureux de leurs écrits, qu'on aurait pu tout aussi bien oublier sans dommage. Les figures du XXème siècle seront aussi des cinéastes comme Polanski pour le<br /> pianiste, mais j'espère aussi qu'on aura plus de recul pour juger sévèrement son comportement de patron tout puissant.<br /> <br /> <br /> <br />
.
<br /> <br /> Merci pour ce poème, Jeanne. J'ai bien aimé tes grains de sel... <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> et encore, je me suis limitée ! ...<br /> <br /> <br /> <br />

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