~ Billet 393 ~
Pour le Jeudi en poésie des Croqueurs de mots*, la communauté qui suit le petit vélo des suggestions de Brunô, et pour faire suite comme j'en ai pris l'habitude, au prénom du mercredi, je n'irai pas interroger mon recueil d'adolescente. Cette fois-ci, je vous emmène feuilleter un recueil de textes de Buffon** réunis à la mi-temps du XIXè siècle pour une collection privée des libraires éditeurs qui en sont à l'initiative.
De la prose en poésie ? Il est une poésie, un rythme, une musique, une saveur de la langue qui se joue des rimes, des iambes et de tous les codes ...
De la poésie en science ? Qui n'a pas lu Patience dans l'azur de Hubert Reeves manque un magnifique moment de poésie rigoureusement scientifique. La rigueur scientifique des écrits de Buffon peuvent certes être contestés à l'aune de nos connaissances actuelles. Mais quoi qu'il en soit, la belle langue rend accessible les concepts les plus difficiles et nos écrivants des sciences modernes feraient bien quelquefois de s'en souvenir.
* Il parait qu'un blogueur a créé une communauté au même nom en variant sur les majuscules ... histoire à suivre
** Comte de Buffon, 1707-1788
"La chèvre
"[...] La chèvre a de sa nature plus de sentiment et de ressource que la brebis ; elle vient à l'homme volontiers, elle se familiarise aisément, elle est sensible aux caresses et capable d'attachement ; elle est aussi plus forte, plus légère, plus agile et moins timide que la brebis ; elle est vive, capricieuse et vagabonde. Ce n'est qu'avec peine qu'on la conduit et qu'on peut la conduire en troupeau : elle aime à s'écarter dans les solitudes, à grimper sur les lieux escarpés, à se placer, et même à dormir sur la pointe des rochers et sur le bord des précipices ; elle est robuste, aisée à nourrir ; presque toutes les herbes lui sont bonnes, et il y en a peu qui l'inccommodent. Le tempérament, qui dans tous les animaux influe beaucoup sur le naturel, ne paraît cependant pas dans la chèvre différer essentiellement de celui de la brebis. Ces deux espèces d'animaux, dont l'organisation intérieure est presque entièrement semblable, se nourrissent, croissent et multiplient de la même manière, et se ressemblent encore par le caractère des maladies, qui sont les mêmes, à l'exception de quelques unes auxquelles la chèvre n'est pas sujette ; elle ne craint pas, comme la brebis, la trop grande chaleur ; elle dort au soleil, et s'expose volontiers à ses rayons les plus vifs, sans en être incommodée, et sans que cette ardeur lui cause ni étourdissements, ni vertiges ; elle ne s'effraie point des orages, ne s'impatiente pas à la pluie ; mais elle paraît être sensible à la rigueur du froid. Les mouvements extérieurs, lesquels, comme nous l'avons dit, dépendent beaucoup moins de la conformation du corps que de la force et de la variété des sensations relatives à l'appétit et au désir, sont par cette raison beaucoup moins mesurés, beaucoup plus vifs dans la chèvre que dans la brebis. L'inconstance de son naturel se marque par l'irrégularité de ses actions ; elle marche, elle s'arrête, elle court, elle bondit, elle saute, s'approche, s'éloigne, se montre, se cache, ou fuit, comme par caprice, et sans autre cause déterminante que la vivacité bizarre de son sentiment intérieur ; et toute la souplesse des organes, tout le nerf du corps, suffisent à peine à la pétulance et à la rapidité de ses mouvements, qui lui sont naturels."
Extrait de
Oeuvres choisies de Buffon*
précédées d'une notice sur sa vie et ses ouvrages
par D. Saugié
Ad MAME et Cie, Imprimeurs-libraires, 1847, pages 83 et 84