Le Defi n°81 des CROQUEURS DE MOTS (avec pour amirale Tricôtine depuis que Brunô lui en a passé le gouvernail) est piloté par votre blogueuse ici présente, à la barre pour la deuxième fois (la première fois c'était pour le défi n°54, il y a un an déjà).
jeudi 9 mai thème libre ou mode et/ou vêtements d'enfants
pour jeudi 16mai thème libre ou jeux et/ou jouets d'enfants (ou d'enfance)
Et comme la poésie peut aussi s'écrire en prose, je vous soumets cet extrait de
"La petite fille de Monsieur Linh", de Philippe Claudel, 1ère édition, stock 2005, livre de poche, p 104-106
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"c'est pour vous Monsieur Tao-Laï, cadeau ! Je vous en prie, prenez !"
Monsieur Linh prend le paquet. Il tremble. Il n'a pas l'habitude des présents.
"Eh bien ouvrez-le !" dit Monsieur Bark, en joignant le mouvement du geste à la parole.
Le vieil homme défait délicatement le papier d'emballage. Cela prend du temps car il le fait avec méticulosité et ses doigts ne sont pas très habiles. Une fois le papier enlevé, il a dans les mains une belle boîte.
"Allez-y, allez-y !" Le gros homme le regarde en riant.
Monsieur Linh ouvre le couvercle de la boîte. A l'intérieur, il y a une feuille de soie, légère, d'un rose très tendre. Il l'écarte. son coeur bat la chamade. Il pousse un petit cri. Un robe de princesse, pliée avec grâce. Une robe éblouissante. Une robe pour Sang diû* !
"Elle va être belle !" dit Monsieur Bark en désignant la petite des yeux. Monsieur Linh ose à peine poser ses doigts sur la robe. Il a trop peur de l'abîmer. Jamais il n'a vu un vêtement aussi beau. Et ce vêtement, le gros homme vient de l'offrir à son enfant. Monsieur Linh a les lèvres agitées d'un mouvement nerveux, qu'il ne peut contenir. Il repose la robe dans la boîte, la recouvre du papier de soie, ferme le couvercle. Il prend les mains de Monsieur Bark dans les siennes, et les serre fort. Très fort. Longuement. Il prend Sang Diû dans ses bras. Les yeux de Monsieur Linh luisent, il regarde son ami, il regarde la petite, et sa voix, fragile, un peu brisée et chevrotante, s'élève alors dans le restaurant :
"Toujours il y a le matin
Toujours revient la lumière
Toujours il y a un lendemain
Un jour c'est toi qui sera mère"
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Philippe Claudel, La petite fille de Monsieur Linh, extrait, (Le cadeau)
C'est moi qui ait donné le cadeau comme titre de l'extrait.
* Monsieur Linh est un vieux monsieur qui a fui son pays en guerre et il est hébergé dans un centre de réfugiés.
A l'occasion de promenades, il a sympathisé avec un homme. Aucun ne comprend la langue de l'autre, mais ils écoutent la musique des mots de l'autre et se devinent (ou interprêtent) par les gestes.
** Sang Diû signifie "matin doux" dans la langue de Monsieur Linh