~ Billet 387 ~
Voilà quelques semaines que je n'avaispas publié pour le Casse-tête de la semaine. Le temps n'étant pas extensible, j'ai bien dû faire des choix. Cette semaine, j'veux du cuir !, nous suggère la voix de Lajemy.
Il parait que c'est le titre d'une chanson, mais j'ai la mémoire qui flanche ...
Dans nos sociétés dites avancées de ce début de troisième millénaire, on veut des chaussures de cuir à la dernière mode, de préférence pas chères, et peu importe dans quelles conditions elles ont été fabriquées et ont circulé dans des avions ou des cargos, au prix de la disparition d'un savoir faire local qui met à genou des régions entières.
Des souliers de cuir ont toujours été un luxe dont on prenait grand soin. Il y avait les souliers du dimanche qui duraient souvent toute une tranche de vie.
Mieux qu'un laïus de mon cru, je préfère vous soumettre le français*magnifique d'Alphonse Daudet dans Le petit Chose, où il évoque l'inconfort d'un matériau de substitution, très nouveau à son époque, alors que la faillite de leur père les avait plongés dans la pauvreté.
Tiens, encore des pistes de réflexion pour tous ceux qui sont nostalgiques d'un passé forcément meilleur que maintenant ou ceux qui sont légion à présenter comme une nouveauté le déclassement social d'une génération à l'autre.
* C'est le quarantième anniversaires des journées de la francophonie.
Extraits du Petit Chose de Alphonse Daudet Deuxième partie I mes caoutchoucs […] Jamais je n’oublierai mon premier voyage à Paris en wagon de troisième classe. […] Le voyage dura deux jours. Je passai ces deux jours à la même place, immobile entre mes deux bourreaux, la tête fixe et les dents serrées. Comme je n’avais pas d’argent ni de provisions, je ne mangeais rien de toute la route. Deux jours sans manger, c’est long ! […] Le voisinage (du) panier me rendit très malheureux, surtout le second jour. Pourtant, ce n’est pas de la faim que je souffris le plus en ce terrible voyage. J’étais parti de Sarlande sans souliers, n’ayant aux pieds que de petits caoutchoucs fort minces. […] Très joli, le caoutchouc ; mais l’hiver, en troisième classe … Dieu ! que j’ai eu froid ! C’était à en pleurer. La nuit, quand tout le monde dormait, je prenais doucement mes pieds entre mes mains et je les tenais des heures entières pour essayer de les réchauffer. […] Eh bien ! malgré la faim qui lui tordait le ventre, malgré le froid cruel qui lui arrachait des larmes, le petit Chose était bien heureux, et pour rien au monde il n’aurait cédé cette place, cette demi-place qu’il occupait entre la Champenoise et l’infirmier. Au bout de toutes ces souffrances, il y avait Jacques, il y avait Paris. […] Il habitait, dans une maison à côté de l’église, une petite mansarde au cinquième ou au sixième étage, et sa fenêtre ouvrait sur le clocher de Saint-Germain, juste à hauteur du cadran. En entrant, je poussai un cri de joie. « Du feu ! quel bonheur ! » Et tout de suite, je courus à la cheminée présenter mes pieds à la flamme, au risque de faire fondre les caoutchoucs. Alors seulement, Jacques s’aperçut de l’étrangeté de ma chaussure. Cela le fit beaucoup rire. - Mon cher, me dit-il, il y a une foule d’hommes célèbres qui sont arrivés à Paris en sabots, et qui s’en vantent. Toi, tu pourras dire que tu y es arrivés en caoutchoucs : c’est bien plus original. […] III Ma mère Jacques […] IV La discussion du budget […] Maintenant que mon frère est près de moi, la rue ne me fait plus peur. Je vais la tête haute, avec un aplomb de trompette aux zouaves, et gare au premier qui rira ! Pourtant une chose m’inquiète. Jacques, chemin faisant, me regarde à plusieurs reprises d’un air piteux ? Je n’ose lui demander pourquoi. - Sais-tu qu’ils sont très gentils tes caoutchoucs ? me dit-il au bout d’un moment. - N’est-ce pas, Jacques ? - Oui, ma foi, très gentils … Puis, en souriant, il ajoute : c’est égal, quand je serai riche, je t’achèterai une paire de bons souliers pour mettre dedans. Pauvre cher Jacques ! il a dit cela sans malice, mais il n’en faut pas plus pour me décontenancer. Voilà toutes mes hontes revenues. Sur ce grand boulevard ruisselant de clair soleil, je me sens ridicule avec mes caoutchoucs, et quoi que Jacques puisse me dire d’aimable en faveur de ma chaussure, je veux rentrer […] Alphonse Daudet, le petit Chose, petit condensé autour des caoutchoucs de la page 161 à 186, Editions du Panthéon, collection « pastels », MCMLIV (1954) |
En réalité ma démarche est partie d'un objet en cuir, ou plutôt relié en cuir pleine peau par ma soeur Jacotte, dont je ne vous avez pas encore présenté cet aspect de ses violons d'Ingres.