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Au fil de mes réflexions, en partant du quotidien et ou de l'actualité, d'une observation, ou à partir de thèmes des communautés de blogs ...

Les embarras de Paris, de Boileau (extraits)

 

Pour le second jeudi en poésie sous le signe du défi n°110 des CROQUEURS DE MOTS où les moussaillons étaient invités à enfiler leurs bottes pour éclabousser sans complexe en sautant dans les flaques par le pilote Cétotomatix de la Coquille des Croqueurs, tout droit sorti du néon de Tricôtine, amirale d'active, vaillante releveuse des défis de l'amiral fondateur Brunô.

 

Et pour remettre les pendule à l'heure d'aujourd'hui pour tous ceux qui ont l'illusion et la tentation du

"C'était mieux avant" ...

 

Les embarras de Paris

 

[ ... ]

Tout conspire à la fois à troubler mon repos, 

Et je me plains ici du moindre de mes maux : 

Car à peine les coqs, commençant leur ramage, 

Auront des cris aigus frappé le voisinage 

Qu'un affreux serrurier, laborieux Vulcain, 

Qu'éveillera bientôt l'ardente soif du gain, 

Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête, 

De cent coups de marteau me va fendre la tête. 

J'entends déjà partout les charrettes courir, 

Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir : 

Tandis que dans les airs mille cloches émues 

D'un funèbre concert font retentir les nues ; 

Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents, 

Pour honorer les morts font mourir les vivants.

 

Encor je bénirais la bonté souveraine, 

Si le ciel à ces maux avait borné ma peine ; 

Mais si, seul en mon lit, je peste avec raison, 

C'est encor pis vingt fois en quittant la maison ;

En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la presse 

D'un peuple d'importuns qui fourmillent sans cesse. 

[ ... ]

Chacun prétend passer ; l'un mugit, l'autre jure. 

Des mulets en sonnant augmentent le murmure. 

Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés 

De l'embarras qui croit ferment les défilés, 

Et partout les passants, enchaînant les brigades, 

Au milieu de la paix font voir les barricades. 

On n'entend que des cris poussés confusément : 

Dieu, pour s'y faire ouïr, tonnerait vainement.

Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre, 

Le jour déjà baissant, et qui suis las d'attendre, 

Ne sachant plus tantôt à quel saint me vouer, 

Je me mets au hasard de me faire rouer. 

Je saute vingt ruisseaux, j'esquive, je me pousse ; 

Guénaud sur son cheval en passant m'éclabousse

Et, n'osant plus paraître en l'état où je suis, 

Sans songer où je vais, je me sauve où je puis.

 

Tandis que dans un coin en grondant je m'essuie, 

Souvent, pour m'achever, il survient une pluie : 

On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau, 

Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau. 

Pour traverser la rue, au milieu de l'orage, 

Un ais sur deux pavés forme un étroit passage ; 

Le plus hardi laquais n'y marche qu'en tremblant : 

Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant ; 

Et les nombreux torrents qui tombent des gouttières, 

Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières. 

J'y passe en trébuchant ; mais malgré l'embarras, 

La frayeur de la nuit précipite mes pas.

 

[ ... ]

Nicolas Boileau, Satire VI, Les satires (1666 - 1668)

 

Nicolas Boileau, 1636 - 1711, poète, écrivain et critique français

cancan-des-Halles-rue-Berger---reduc1.jpg

carte postale fin XIXe début XXe siècle, Paris, Les Halles

.

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M
Bonjour ! J'ai utilisé votre image de la carte postale des embarras de Paris sur mon blog millafrot.blogspot.com. Cela vous dérange-t-il ? Je vous ai cité en source. Merci !
Répondre
J
je n'avais pas mentionné la source je l'ai sûrement trouvé sur Internet. Les cartes postales anciennes sont je pense dans le domaine public
F
c'est le vie tous ces bruits
Répondre
J
<br /> <br /> ce ne devait pas être calme non plus à cette époque-là ! sauf la nuit où il n'était pas recommandé de s'aventurer dehors après le couvre-feu<br /> <br /> <br /> <br />
T
Merci Jeanne pour ce choix, que de souvenirs en le lisant je l'ai appris (du moins une partie ) à l'école primaire et j'avais beaucoup aimé l'évocation de ces rues encombrées. Bizzoux bis
Répondre
J
<br /> <br /> je ne l'ai pas appris à l'école. Boileau aussi était râleur ...<br /> <br /> <br /> <br />
T
La gadoue la gadoue.... :o) bizzoux
Répondre
J
<br /> <br /> et avec toute la pluie tombant sur nous ...<br /> <br /> <br /> bises<br /> <br /> <br /> <br />
A
Effectivement il y a du pour et du contre, dans chaque époque :-))
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J
<br /> <br /> les gens y étaient habitués mais à lire Boileau, l'art du râleur était déjà bien développé !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Un vivant témoignage de la vie au siècle de Boileau!
Répondre
J
<br /> <br /> et j'ai (re)découvert un Boileau raleur ...<br /> <br /> <br /> <br />
E
merci, Jeanne c'est toujours enrichissant de lire tes articles ! a s - tu aussi appris à l'école comment retenir les écrivains de cette époque ?( des décennies que je n'avais pas pensé à cela !)"<br /> la racine de la bruyère boit l'eau de la fontaine moliere" on pourrait sans doute ajouter des corneilles à ce tableau bucolique...
Répondre
J
<br /> <br /> ah oui ces procédés pour retenir les noms illustres, j'ai appris cette phrase aussi. <br /> <br /> <br /> Ce n'est pas toujours aussi limpide ...<br /> <br /> <br /> <br />
Q
Un poème que j'avais découvert grâce à ma fille... :)<br /> <br /> Merci, Jeanne.<br /> Bises et douce journée.
Répondre
J
<br /> <br /> je ne me souviens pas de l'avoir étudié en classe. Je l'ai redécouvert dans l'anthologie de Pierre Seghers, Le livre d'or de la poésie française des origines à 1940 en cherchant un poème avec<br /> éclabousser et j'ai pu le retrouver sur wikisource je crois.<br /> <br /> <br /> bises<br /> <br /> <br /> <br />
M
Mieux avant ce n'est pas sûr mais surtout différent ! Belle description de Boileau !<br /> Bonne journée - bises<br /> Monelle
Répondre
J
<br /> <br /> Différent c'est vrai et mieux pour certains qui ont connu des décadences. Mais il y avait bien plus de chance de naitre dans une famille de très pauvres que dans une famille de nobles argentés.<br /> Même nobles, ils ne l'étaient pas tous<br /> <br /> <br /> bises<br /> <br /> <br /> <br />
J
Merci Jeanne, je découvre et en soupirant je dis aussi c'était mieux avant, les année 60/70...pour ma génération... je ne sais ce qu'ils auront aimé de leur temps mes enfants et petits-enfants...<br /> Bises, jill
Répondre
J
<br /> <br /> pour notre génération et avec les parcours que nous avons eu. Ce n'était pas le cas de tout le monde. <br /> <br /> <br /> Pour ce qui me concerne combien de filles de ma tranche d'âge ont pu faire des études ? Combien allaient encore faire la bonne avec pratiquement pas de gages mais c'est vrai le gite et le couvert<br /> moyennant des journées de pas d'heure en attendant de devenir la bonne officielle de leur mari ...<br /> <br /> <br /> Et les garçons qui se retrouvaient OS à travailler à la chaine ...<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
L
miracle de l'évocation me voilà retourné dans un froid matin d'hiver au piquet dans une cour de recréation de pension en train d'apprendre par cœur ce texte de Boileau.<br /> La dernière fois que je me suis rendu à Paris j'ai vu avec effarement des maman promener leurs enfants dans des poussettes cannes au ras des pots d’échappement en pleine pollution sur les grands<br /> boulevards alors oui le Paris de Boileau n'a rien à envier à celui d'aujourd'hui'<br /> <br /> Bien amicalement
Répondre
J
<br /> <br /> oh oui les poussettes au ras des pots d'échappement j'ai vu cela encore récemment. Ca ne vient pas à l'idée des adultes tout ce qui se passe à la hauteur de nos bambins ...<br /> <br /> <br /> amicalement<br /> <br /> <br /> <br />
M
Je n'aurais pas aimé vivre à cette époque et me réjouis de vivre au présent. Il faudrait aussi que nous français arrêtions de nous plaindre, pensons un peu à ceux qui dans le monde connaissent les<br /> guerres, les famines....
Répondre
J
<br /> <br /> cela dépend de l'environnement qui aurait été le nôtre. Notre époque actuelle est plus ou moins douce selon ce que l'on vit et où.<br /> <br /> <br /> Aujourd'hui, je préfère être à l'abri chez moi plutôt qu'aux Philippines qui subit un typhon avec des vents de plus de 300 kilomètres heure ! ou bien sûr dans l'un des multiples pays en guerre<br /> officielle ou non ...<br /> <br /> <br /> <br />
E
Quel plaisir de relire ce texte (je crois que je ne l'avais pas lu depuis mes années lycée...) !<br /> Cela ne se dément donc pas, le Français est perpétuellement râleur.<br /> Je me suis bien amusée et je suis admirative devant la tournure d'un tel texte.<br /> Merci Jeanne.
Répondre
J
<br /> <br /> le français est râleur c'est sûr et l'on pourrait sans doute trouver des textes encore plus anciens de cette veine<br /> <br /> <br /> <br />