~ Billet 229 ~
La ronde des prénoms du mercredi de la Récréa-bigornette continue avec l'arrivée d'un nouveau cavalier pour Bigornette, j'ai nommé le Chevalier Fulbert de la Motte au pré Vert.
Allez savoir pourquoi cet homme de fer, si pesant et sonnant, si rutilant, s'est imposé à moi en même temps que son acolyte le majordome, qui gardait avec lui, par temps sec, l'entrée du porche de Louis la Brocante. A la vérité, j'ai mis un moment à me rappeler lequel des deux se prénommait Fulbert. L'autre, j'ai son nom sur le bout de la langue, en voulait à Fulbert de l'abandonner sous la pluie plus souvent qu'à son tour dans ce bocage du Maine.
On chouchoutait les jointures d'acier du Seigneur Fulbert à chaque averse tandis que ses peintures dégoulinaient sur le plâtre sans éveiller de compassion. Qu'avait-il donc de plus que lui Messire Fulbert, à part d'avoir été adoubé par Don Quichotte de la Manche en personne, du moins c'est ce qu'il prétendait. Car lui, le stylé maître d'hôtel, que le vent de la savane avait instruit, savait bien que ce n'était que Sancho Panza qui lui avait redonné son rang pendant le carnaval. Et c'était bien par égard pour son grand âge et sa mémoire défaillante, car vu le design de son heaume, il avait alors déjà au moins quatre ou cinq siècles.
Il était son aîné, c'est entendu, mais que valaient cinq à sept siècles dans l'échelle du temps de l'univers ?
Pendant queFulbert se battait pour le maître des moulins à vent, ses ancêtres, en dignes héritiers de la reine de Saba, avaient étendu leur empire de la Corne de l'Afrique jusque sur les Côtes Occidentales. Leur empire avait duré près de cent septantes lustres* sans discontinuer.
Mais tu t'égares, là, c'est l'histoire de Fulbert qui intéresse Bigornette, pas celle de ...euh, quoi ? ben ... Tu n'as pas retrouvé son nom ? Non. Et sur ses papiers ? C'est que ...
Il n'y a pas de papier. La transmission du savoir est orale. C'est pour cela que la mémoire est tellement importante. Maintenant , rien n'est possible sans papier. Tu crois ? Que fais-tu de l'ordinateur alors ? Le quoi ?
Il ne faut pas leur en vouloir chère lectrice et cher lecteur, Messire Fulbert et l'autre sentinelle traversaient mon paysage à une époque où seuls de rares initiés découvraient ces curieuses petites machines à écran apparues du côté du sud de Paris vers l'an dix neuf cent septante et quelques. Du reste, j'aurais dû dire que c'est moi qui apparaissait de temps à autre dans leur paysage immobile, au hasard d'un déplacement de fin de semaine. Et c'était toujours pour moi un étonnement que de voir par beau temps l'armure, toujours intacte, ne rien perdre de son éclat. Et c'était pour moi, toujours le même amusement de voir son étrange compagnon se délaver sous la pluie.
* Un lustre est une période de cinq ans en vieux français.
Je n'ai pas de cliché de cet étrange fantôme d'acier plus vrai que nature, mais dimanche, en allant prendre des nouvelles des arbres épris de liberté, j'ai trouvé un lointain cousin qui a bien voulu prendre la pose.
Juste à l'entrée d'une exposition dont je vous parlerai bientôt.
Et lui, visiblement, n'avait pas craint la pluie.
Le Gardien de l'Imaginaire, acier et chêne, sculpture de Gilbert KADYSZEWSKI,
Exposé au Salon des arts actuels de Magny-en-Vexin, octobre 2009
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