En bonus au jeudi en poésie vision(s), regard(s), voici un court extrait du Manifeste pour la terre et l'humanisme, de Pierre Rabhi, Babel - Actes sud, 2008, 2011, pages 66-67
[ ... ] après avoir observé la lune, les pieds ancrés dans la terre, l'être humain d'aujourd'hui a pu, grâce à ses aptitudes, et pour la première fois de son histoire, observer la terre à partir de la lune. Mais cette inversion extraordinaire qui a élargi le champ de la connaissance a-t-elle eu un effet réel et profond sur le champ de la conscience ? Nous pouvons avoir des doutes. On peut imaginer le regard des cosmonautes dirigé vers la sphère mère, suspendue dans le firmament comme un véritable joyau avec ses reflets, ses couleurs évanescentes à dominante bleue. On peut imaginer, mêlée à la satisfaction d'avoir accompli une prouesse jusque-là inimaginable, une probable angoisse insidieuse dans le coeur de ces terriens. Car du point de vue où ils la considèrent, la planète Terre apparaît avec une évidence grave et lumineuse comme la seule petite oasis de vie que nous connaissions dans un incommensurable désert astral et sidéral. Ce désert froid, indifférent, s'affirme et se confirme dans la démesure du temps et de l'espace. Que signifie alors l'être humain gloriffié par cette prouesse qui lui a coûté tant de savoir, d'habileté et de moyens matériels ? Performance dont il tire une légitime fierté les pieds sur terre mais qui devient très relative dès qu'elle est replacée à l'echelle des infinitudes. Nos délégués envoyés dans l'espace éprouvèrent peut-être le caractère quasi absurde de ce sentiment. Ils avaient en quelque sorte réussi à atteindre la proche banlieue inanimée inhabitable de notre sphère vivante, réduite elle-même à une frêle embarcation soumise à des mutineries permanentes d'une poignée d'êtres humains naviguant sans boussole. De ces humains, l'univers ne semble avoir cure.
[ ... ] Tout n'est que précarité. Emperuers, rois, potentats de toutes espèces, pauvres ou milliardaires, grands ou petits hommes, tous s'abîment dans le gouffre insondable de l'oubli. Rien n'a d'importance que celle que nous essayons de nous donner à nous-même. J'ai entendu dire que les cosmonautes russes et américains, réunis pour je ne sais quelle circonstance, éclairés par leur exceptionnelle expérience, s'affligeaient de l'inanité des querelles idéologiques, politiques, religieuses de l'espèce humaine dans le contexte d'une réalité qui devrait inspirer la solidarité la plus profonde et déterminée. Grand bien nous ferait de suivre leur exemple, les deux pieds sur terre.
Pierre Rabhi, Manifeste pour la terre et l'humanisme, Actes Sud Babel, édition 2011 p 66-67.
Quelques liens concernant Pierre Rabhi
le site du mouvement Terre et Humanisme
le site de Colibris - Mouvement pour la terre et l'humanisme