Au fil de mes réflexions, en partant du quotidien et ou de l'actualité, d'une observation, ou à partir de thèmes des communautés de blogs ...
Pour MiletUne. en support un tableau de Soutine : Les maisons
Ville nouvelle
Petit Pierre aimait tant venir passer les mercredi chez ses grand-parents ; quand il faisait soleil, soulever cinq secondes un arrosoir plus lourd que lui ; aider Papy à tendre le cordeau. Le printemps fleurissait déjà le jardin mais il sentait dans son coeur de gosse leur regard voilé. Il avait beau être protégé des soucis des grands, il voyait bien que le monde changeait autour de leur ilot végétal. Les vastes étendues maraichères n'avaient pas été retournées. Des engins à chenilles puis des grues immenses avaient fait leur apparition dans l'horizon. Des cylindres de béton poussaient comme des champignons.
Mamie avait essuyé furtivement une larme l'autre jour en lisant le contenu de l'enveloppe bleue que lui avait tendu le papy.
-Cette fois-ci c'est pour bientôt, avait dit Papy en découvrant la confirmation de la date fatidique. Ils avaient l'un et l'autre plus de 75 ans, âge qui, à cette époque, aurait dû les protéger d'une expulsion. Mais pour l'aménagement de la ville nouvelle, des dérogations avaient été prévues et même un juge à plein temps. Petit Pierre, lui, voyait ces drôles de choses qui poussaient là-bas.
- C'est drôle, on dirait des maisons-fleurs. C'est là que vous déménagez ?
- Non mon Pierrot, nous n'en avons pas les moyens. On va nous reloger dans un cube ou une barre.
- tu as du chagrin ?
- Oui, tu sais, cette maisonnette devait être provisoire. Notre immeuble avait été l'un des derniers bombardés à la fin de la guerre. Et puis, nous nous sommes tellement plu ici ! 25 ans ! Une deuxième vie déjà. Je n'ai pas le courage de recommencer encore ailleurs.
- Moi je trouve que ce serait bien si vous alliez dans ces maisons-fleurs.
- et pouquoi donc mon Pierrot ?
- Ca doit être chouette d'avoir un lit tout rond ...
Mamie sourit, le coeur plus léger. Elle se demandait bien pourquoi les prospectus les nommaient "les épis de maïs". Papi imaginait déjà la vigne vierge à l'assaut des corbeilles et saluait en secret le talent de l'architecte. un digne héritier du courant expressionniste. Mais non, évidemment, on avait promis de les reloger, c'était au moins ça. Inutile de rêver une telle destination !
La clochette du portillon résonna. L'heure de sa maman. Le retour dans leur HLM aux murs trop droits. Un dernier signe de la main à Papy et Mamie. Combien de mercredi leur restaient-ils dans ce petit paradis ?
Un bel article, très bien documenté sur ce qui m'a inspiré cette scène imaginaire sur le blog Astudéjàoublié.
Si j'ai inventé les situations,il y avait bien à au TGI de Créteil-ville nouvelle (comme on l'appelait à l'époque) un juge chargé à temps complet des expropriations (et par voie de conséquence des expulsions-relogements des locataires des immeubles concernés) et il y avait bien dérogation aux protections concernant le logement des personnes de plus de 75 ans. (protection qui n'existe plus)
Bonus, soufflés par Jill Bill et Josette, en commentaire sur miletune C'était un petit jardin, de Jacques Dutronc et par Emma, La maison près de la fontaine, de Nino Ferrer
Attention ! les images de ces immeubles font l'objet d'un copyright de l'architecte et ne doivent en aucun cas être copiées !