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11 mars 2010 4 11 /03 /mars /2010 06:00

~ Billet 379 ~

Une fois n'est pas coutume, l'actualité du mois du crieur m'incite à épancher mes pensées vagabondes sur le sujet de la poésie et de la femme.
Pour les lecteurs pressés qui voudraient n'avoir à lire que le poème que je propose, vous le trouverez au billet suivant, Les larmes de Louise Labé ...

Brunô a l'excellente idée pour le jeudi en poésie de nous convier aux fêtes ambiantes du printemps des poètes couleur femme, pour la communauté Croqueurs de mots.

Je ne l'avais pas attendu dans ce choix et me voilà prête à programmer Anna de Noailles quand l'idée saugrenue me vint de vérifier qu'elles étaient les femmes poètes que nos maîtres à penser mettaient à notre disposition d'élèves dans leurs collections de textes commentés.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer la collection par siècles des Lagarde et Michard (pas d'irrévérence dans cette expression : c'est comme cela qu'on désignait ces manuels).
André Lagarde et Laurent Michard ont constitué ces recueils annotés, commentés et assortis de questions à partir de 1948.
Parallèment et sûrement pour concurrencer cette hégémonie, une autre collection est proposée dans les années 1960sous la direction de Jean Guéhénno*, sous le titre attractif de "Plaisir de lire", sans connaître le succès des Lagarde, alors qu'il venait de terminer sa carrière comme Inspecteur général (1945 - 1961) et qu'il allait entrer à l'Académie Française en 1962.

Inutile de vous dire que dans aucune de ces collections, je n'y ai trouvé beaucoup de poétesses. Certes, leurs oeuvres ont été beaucoup moins publiées que celles des hommes, peut-être même qu'avec une règle de quotas, il y en aurait eu encore moins dans ces ouvrages.

* voir aussi l'article très intéressant des amis de Géhenno.

Dans le tome du XVIème siècle, j'y ai trouvé mentionné Louise Labé et Marguerite de Navarre, ainsi que deux poèmes de Louise Labé et un texte en prose de Marguerite de Navarre.
. . . Dans le Lagarde et Michard du même siècle . . .  aucune  . . .

C'est l'introduction à Louise Labé qui m'a décidé à en publier un poème.

Sensible à la nécessité de lutter contre les stéréotypes du masculin et du féminin transmis aussi dans les manuels scolaires ("papa lit et maman coud "...), une lecture rapide de cette introduction pourrait faire croire que ce discours est toujours là. Certes, les auteurs partent de ce schéma de pensée telle qu'elle est dite, mais c'est pour la contredire, à l'aide des mêmes codes. C'était un bon début, je crains que l'on ne se soit arrêté en chemin.

plaisirdelireXVIe" [...] S'il est une oeuvre où le bouillonnement du coeur et des sens est contrôlé et magnifié dans et par l'expression, où le cri s'organise en chant, c'est bien celle de Louise Labé. Le vers est ferme et plein, les articulations du poème franches et vigoureuses, le sonnet mené de l'attaque à son terme avec une autorité que l'on aurait presque envie de qualifier de virile (1). Ceux qui auraient tendance à considérer que poésie féminine signifie relâchement et mollesse feraient bien de penser aux poèmes de Louise Labé. Et sans doute leur prix vient-il de ce qu'avec eux il nous est permis de rencontrer tant de frémissement dans tant de fermeté.[...]"
Extrait de la présentation de Louise Labé, Plaisir de lire XVIe siècle, Armand Colin, 1965, page 108
H. Bellaunay, G. Hyvernaud, J. Masson, J. Netzer, collection littéraire sous la direction de Jean Géhenno.

(1) souligné par l'auteur du blog



               De Louise Labé,

              Tant que mes yeux pourront larmes espandre ...
             
              Tant que mes yeux pourront larmes espandre
              A l'heur passé avec toy regretter, (1)
              Et qu'auls sanglots et soupirs résister
              Pourra ma voix, et un peu faire entendre, (2)

              Tant que ma main pourra les cordes tendre
              Du mignard  luth, pour tes grâces chanter, (3)
              Tant que l'esprit se voudra contenter (4)
              De ne vouloir rien fors que toy comprendre, (5) (6)

             Je ne souhaite encore point mourir.
              Mais quand mes yeux je sentiray tarir,
              Ma voix cassée, et ma main impuissante,

              Et mon esprit en ce mortel séjour
              Ne pouvant plus montrer signe d'amante,
              Prierai la Mort noircir mon plus cler jour.


(1) à regretter le bonheur passé avec toi
(2) et faire entendre quelque son
(3) gracieux, délicat : mignard n'a pas encore le sens péjoratif de mièvre, affecté, qu'il aura plus tard.
(4) tant que mon esprit ...
(5) rien d'autre que toi
(6) comprendre est à prendre dans son sens intellectuel mais aussi dans son sens littéral de prendre avec, accueillir en soi.

note de l'auteur du blog : j'ai préféré restitué une des orthographes du poème et non celle modernisée de Plaisir de lire. La lecture ne m'en semble pas plus difficile et vous remarquerez qu'à l'époque, l'orthographe était loin d'être fixée. On pourrait en dire autant de la ponctuation.

Vous ferai-je grâce des questions qui accompagnaient ce poème ?
La première question porte sur la construction du sonnet, la deuxième est double :
"Quel est le thème du sonnet ? En quoi est-il émouvant et beau ?" mettant à égalité émotion et appréciation esthétique, sensible et intellect.
La troisième question soulève la question de l'auteur :
"A quoi devons-nous plus particulièrement l'impression que c'est une femme qui parle ?"
J'ai personnellement la clé à l'avant dernier vers, mais c'est sans compter sur le fait qu'au vingtième siècle, seules les femmes peuvent pleurer et même sangloter. C'est oublier un peu vite la place des pleurs dans l'Histoire de ces siècles plus anciens.
La quatrième question suggère que le mot luth a un double sens. Il sera intéressant de se rappeler que dans les années 1950 et 1960, moins de la moitié des garçons accédaient à la classe de seconde et bien moins encore parmi les filles !
La cinquième et dernière question interroge sur ce qui fait la beauté du dernier vers, même si la présentation a déjà évoqué la "mode" du "pétrarquisme" avec son "jeu des oppositions et des antithèses", ce qui oriente singulièrement l'analyse demandée.

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commentaires

F
<br /> merci pour toutes ces explications , Les femmes ont été oubliées comme dans lla poésie comme dans d'autres formes d'expression !<br /> C'est un très beau poème;  je l'aime beaucoup avec le vocabulaire d'origine<br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> Oh oui et pas seulement au XVIe siècle.<br /> J'aime beaucoup ce vieux français, plus ancien, cela devient vraiment difficile ...<br /> belle semaine<br /> <br /> <br />
H
<br /> Oui, remettre le poème dans son contexte aide à le comprendre, belle analyse.<br /> Gros bisous<br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> C'est plus une promenade de découverte qu'une analyse. Je ne pense pas qu'elle conviendrait pour un exercice de littérature. J'écris cela car il arrive que des requêtes proviennent d'élèves ou<br /> d'étudiants. Je suis d'accord avec toi sur l'importance de contextualiser. Il y a souvent plusieurs filtres qui s'empilent entre un texte et son lecteur ou sa lectrice.<br /> bises et belle semaine<br /> <br /> <br />

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