Texte inspiré par la photo de miletune un peu en prolongement du prénom de ce mercredi Damon, le chiffonnier
Allongé dans la lumière du midi, il ressemble à un vacancier posé sur ce banc. Si ce n'est la petite voiture à bras. Il l'a laissé un peu plus loin, hors champ, mais
à portée de son regard. C'est son seul bien, avec sa besace. Alors, il ne la perd jamais de vue.
Envie d'une pause sous ce soleil carnassier. Il a vu le banc libre, aucun garde ni chaisière alentours. Quelques instants dans la fontaine. Fraîcheur bienfaisante. Ah vous pensiez que c'était pour se nettoyer les pieds ?
Il aurait bien aimé s'allonger sur l'herbe. C'est ce qui lui est le plus familier. Mais dans ce lieu du ban des villes, même si l'oeil ne le voit pas immédiatement, l'herbe est sale. Oui sale des pluies acides ; sale des pipis des chiens et des chats. Sale des crachats et des trop-plein de canettes ...
Et surtout, surtout, c'est un gigantesque cendrier plein de mégots.
Le chemineau regrette d'avoir emboîté le pas de son père. Il lui avait fait miroiter une vie, chiche c'est vrai, il ne l'avait pas trompé là-dessus, mais aussi une vie libre, et proche d'une nature encore accessible.
La nature accessible, ce n'est plus que ces terrains laissés à l'abandon ou, par chance, tranformés en espaces verts avec d'immenses pelouses et quelques bancs.
Les prés ont disparus avec les haies, les champs, cultivés, le plus souvent interdits aux promeneurs, et avec quelle énergie ! Alors les gens de son espèce pensez donc ! les chemins trop souvent se perdent dans des labours abusifs.
Son métier n'est plus ce qu'il était ! La ville n'en finit plus de coloniser la campagne dans un entre-deux indéfinissable. Impossible de faire du porte-à-porte dans ces nouveaux immeubles dressés en barres immenses, voire en tours à l'assaut du ciel. Leurs habitants, de toutes façons n'ont pas eu le temps d'accumuler de vieilleries.
Les villageois et les fermes isolées de maintenant lui sont moins accueillants. Heureusement, il y a les vieilles connaissances et leurs enfants qui l'accueillent encore joyeusement.
Il a fouillé dans les nippes et trouvé cette chemisette. C'est vrai, le col est bien rapé, mais elle fera encore l'affaire.
Ce magazine est de l'année dernière, tiens,il y a un feuilleton sur les chemineaux. Et plusieurs numéros qui se suivent. Voyons voir comment ils se figurent notre vie ces écriveux.
Ce que le journal livre par épisodes, c'est un ancien roman de la comtesse de Ségur "Diloy le chemineau". La pile comprend la série qui lui permettra de suivre l'histoire. Enfin, avec quelques trous. Mais la chaleur et la fatigue l'écrasent trop. Sea paupières sont si lourdes. Tant pis pour le cadre de la photo, il se lève, déplie sa carcasse rouillée, rapproche la charette pour l'avoir tout près de lui. Dispute le banc à deux pigeons.
Maintenant, il peut se laisser aller à dormir. toujours d'un oeil. Il pourrait, en ces heures écrasantes, baisser la garde ... Personne ne s'aventurera comme lui dans cette chaleur avant les premières heures du soir.
C'est là tout le paradoxe, il n'y a personne pour le lui dire.
Jeanne Fadosi, jeudi 7 juin 2012 pour miletune
Le chemineau, Gustave Courbet, 1845
musée de Dole Jura
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